Les ponts thermiques

Barrage hydraulique

Reprenons nos analogies hydrauliques.
Regardons couler une paisible rivière. Le courant est uniforme, laminaire, les brindilles et les feuilles mortes (nous sommes dans un cas théorique sans bouteilles en plastique et papiers gras) défilent régulièrement. Un peu plus loin, quelques rochers limitent la section du lit de la rivière. On s'aperçoit que, à un à deux mètres des rochers, les objets flottants accélèrent pour se précipiter dans les filets de courants qui s'engouffrent entre les rochers.
La section étant réduite, pour maintenir le débit de la rivière constant, le courant, c'est-à-dire la vitesse des particules d'eau, a augmenté: D = V×S = constant.
Tout comme le barrage hydraulique doit résister à la pression de l'eau, le mur de la maison doit résister à la pression thermique. Dès qu'il y a une brèche, l'eau dans un cas, le flux d'énergie thermique dans l'autre, se précipitent avec vitesse et force à travers la brèche. Mettez votre main devant un tuyau d'arrosage. Bien sûr la force du flux thermique vous ne la sentez pas, c'est la chaudière qui le sent.
Les volumes chauds de la chape sont en communs avec les volumes froids, il y a donc transfert direct d'énergie d'où le "nom de pont thermique", on pourrait tout aussi bien appeler cela "brèche thermique".


Pont thermique

Ainsi que le montre le croquis ci-contre, les lignes de fuite des calories prélèvent l'énergie thermique au niveau du sol et du plafond de l'habitation et dispersent cette énergie dans le mur qui joue le rôle d'un radiateur, comme les radiateurs qui sont collés sur les microprocesseurs et autres composants de puissance, complétés la plupart du temps par un ventilateur, qui dans le cas du mur sera très efficacement remplacé par le vent.
Le goulot d'étranglement, ou tuyère d'éjection, est la partie de la dalle qui se trouve dans l'épaisseur de l'isolant du mur.

On fera les calculs pour une tranche de mur de L=1 mètre, avec pour conductivité du béton λ=1, e=10 cm d'isolation et h=15 cm d'épaisseur de dalle, 20 cm de distance de dispersion sur 50 cm de hauteur, 50 cm de zone de captage, 30°C entre l'intérieur et l'extérieur, cela donne


conductivité de la zone de dispersion = 1×0,50/2/0,20 =1,25

conductivité du goulot = 1×0,15/0,10 =1.5

conductivité de la zone de captage = 1×0,50/0,25 =2

résistance totale = 1/1,25+1/1,5+1/2 = 1,97,


d'où : conductivité d'ensemble = 0,5
et Qpsol(Watt) = 0,5×30 = 15 Watt par mètre linéaire de façade.
Pour la dalle de plafond, comme l'air au plafond est plus chaud d'environ 5°C, on a Qppla = 35/30×Qpsol = 17,5 Watt
Soit un total de 32,5 Watt.
Les pertes par un mur de 2,50 mètre de haut sur 1 mètre de long en parpaings de 20 cm d'épaisseur, isolé avec 10 cm de polystyrène donnent dans les mêmes conditions
Qm = 0,4×2/(0,4+2)×2,5×1×30 = 25 Watt. (La mise en série des conductivités donne : Geq = G1×G2/(G1+G2).)
Vous savez maintenant par où passent les litres de fuel ou les m3 de gaz.

Ce cas particulièrement néfaste n'est pas utopique : parfois il n'y a même pas d'isolation sous la dalle sur terre-plein. De plus on a pas tenu compte des murs de refend s'il y en a , et on a pas tenu compte du vent quand il y en a.
Et si un balcon prolonge la dalle, imaginez le radiateur que cela représente , c'est la langue du chien qui pend hors de sa gueule pour évacuer les calories que son pelage ne lui permet pas d'évacuer.


Des courbes éditées dans la" Revue technique du bâtiment" N° 92 d'octobre 82 montrent que le coefficient d'isolation par l'intérieur est deux fois plus mauvais que le coefficient d'isolation par l'extérieur, à épaisseur d'isolant égal. L'article de cette revue présente des arguments tellement convaincants en faveur de l'isolement par l'extérieur qu'il est incompréhensible qu'on puisse encore construire des pavillons isolés par l'intérieur! C'est la lecture de cette revue qui m'a incité à construire le pavillon qui sert d'exemple dans mon article.


Heureusement, les normes récentes de construction des pavillons sont plus strictes au niveau de l'isolation. Nous allons analyser ce qu'il en est. Pont thermique

Le schéma ci-contre montre que la dalle du plancher bas, qui est normalement isolée du sol soit par une épaisseur d'isolant, soit par un vide sanitaire clos (n'oublions pas que l'air est le meilleur isolant après le vide, à condition d'être immobile), supporte une chape coulée sur une épaisseur de 4 à 5 cm d'isolant, dite chape flottante.

Le sol de l'habitation n'est donc plus en contact direct avec le pont thermique de la dalle de plancher. Mais la surface est grande. Supposons que la maison fasse une surface S=100 m2, cela donne une conductivité de

G = 0,04/e×S = 0,04/0,04×100 = 100 Watt/°C, soit une perte de 3 kWatt pour un froid de -7°C, uniquement par le sol, si la dalle n'était pas isolée.

Mais le schéma montre que seules quelques lignes de fuite sont attirées par le pont thermique, les autres vont vers le sol où elles rencontrent l'isolation de la dalle.

Appelons "zone de captage" cette bande du sol qui longe les murs extérieurs et appelons 2x sa largeur, x étant alors la distance du baricentre thermique à l'entrée du pont thermique. On pose les calculs en considérant toujours une largeur de 1 mètre de mur.


La conductivité de la bande de captage est : Gc = 0,04/0,04×1×2×x = 2x soit Rc = 1/2x

La conductivité du pont thermique est : Gth = 1/(x+0,1)×1×h = 0,15/(x+0,1) soit Rpth = (x+0,1)/0,15

La conductivité de la zone de dispersion est Gd = 1/0,2×0,50/2 = 1,25 soit Rp = 0,8
d'où Rtt = Rc + Rpth + Rp = 1/2x + (x+0,1)/0,15 + 0,8 = [1,5 + 2x(10x+1)]/3x + 0,8

Rtt = (20×x2+2×x+1,5)/3x + 0,8

En vertu du principe de Fermat-Maupertuis, cherchons le point d'enthalpie maximum, c'est à dire de conductivité maximum, en cherchant le zéro de la dérivée de Rtt :

R' = [3x(40x+2)-3(20x2+2x+1,5)]9x2 = (60x2-4,5)/9x2

R' = 0 donne x2 = 1/13,33 et x = 0,27 , soit une bande de captage de 54 cm.

et Rtt = (1,5 + 0,54 + 1,5)/0,81 + 0,8 = 5,17 et G = 0,193 ≈0,2 soit Qpth = 0,2×30 = 6 Watt par mètre linéaire de mur.

Le pont thermique du plancher est divisé par 2,5, on est passé de 15 W à 6 W, mais il reste en général le pont thermique du plafond ce qui fait encore 23,5 W de pont thermique par rapport aux 25 W des 2,5 mètres de mur isolé. On reste sur les courbes du CSTB de 1982 qui montre que l'isolation par l'intérieur est deux fois moins efficace que l'isolation par l'extérieur.


Alors certains pavillonneurs, dans le louable but d'améliorer la situation vont neutraliser en partie, de la même manière, le pont thermique du plafond en collant sur toute sa surface une épaisseur de placo alvéolaire.


Mais alors adieu l'effet de voûte, adieu le confort de l'homme des cavernes!
Sans oublier les murs de refend, les murs du garage! Les murs mitoyens du garage sont-ils isolés, le plafond quand il y a une chambre au-dessus, le mur de pignon, les débarras: partout des petits murs soient inutilement recouverts d'isolation, soient malheureusement pas isolés? Il est impossible d'éliminer les ponts thermiques de tous les recoins d'un pavillon isolé par l'intérieur. Pour s'en convaincre, il suffit d'aller sur le site du CSTB consulter la liste non exhaustive des ponts thermiques.


Les photos ci-dessous illustrent les pont thermiques formés par les dalles qui transmettent la chaleur de la terre venant de la terre de la pelouse.
La neige de la pelouse ne fond pas parce qu'elle est isolée de la terre par l'herbe qui emprisonne de l'air. En fait, la neige forme un manteau qui emprisonne de l'air au milieu de l'herbe, ainsi la neige est isolée du sol et la terre est isolée de l'atmosphère: c'est de l'isolation par l'extérieur.

illustration de pont thermique              illustration de pont thermique

Pourquoi isoler par l'extérieur? Parce qu'on ne peut pas isoler par l'intérieur.